8 avr. 2008

Huitième nouvelle sur le premier sujet

Bon, je sais, je suis en retard. Beaucoup. Mais faut le temps qu'il faut, hein !
Voici donc "Dans un ciel de printemps", une poésie en vers libres sur le thème "Deux inconscients".
(Si c'est trop long, on peut essayer de trouver une combine. :o )


Dans un ciel de printemps
Sortant tout droit de l'hiver.
Dans un ciel de printemps
Volait une hirondelle.
D'un air penseur,
Elle ramenait à ses oisillons
Qui l'attendaient dans le nid, affamés,
Des vers qui les rassasieraient.

Mais c'est qu'il était distrait,
L'oiseau.
Et pas bien réveillé.
Et comme il pensait,
Il pensait à Paris,
A Montmartre, à la Tour Eiffel,
Aux Champs Elysées, à l'Arc de Triomphe,
Au périphérique encombré
Et au métro porte de Clignancourt,
Il s'engouffra dans une bourrasque
Et ses ailes furent secouées,
Et ses plumes firent des bonds.
Car il était cardiaque,
L'oiseau.
Et il cru bien y passer si,
Par hasard,
Il n'était pas tombé sur les lignes à haute tension
Qui lui ramenèrent son afflux sanguin.
Dans sa chute,
Il lâcha son festin
Qui alla s'écraser
Rue du Général Margueritte,
Près de la ligne de train,
Sur l'épaule d'un pauvre ahuris
Qui, les yeux dans le vagues,
S'en allait au troquet du coin.

Cet homme-là était agent d'entretien
Et il se levait
Chaque matin
Pour balayer,
Épousseter,
Briquer, cirer,
Récurer, aspirer...
Et il avait mal au dos,
Le balayeur.
Non pas que son balais fusse lourd,
Mais il fallait bien se pencher,
Rue du Printemps,
Pour ramasser son argent,
Rue du Balais,
Rue de l'argent,
Rue du Printemps de l'argent,
Rue de l'argent au printemps,
Rue de l'argent en ballets.

Il s'en moquait
Le balayeur.
Il gagnait son pain,
Le ramenait le soir au foyer.
Quelques fois,
Il s'arrêtait au troquet
Et buvait une ou deux pintes,
Rarement plus.
« Pas de quoi s'arracher les cheveux.
Se disait-il
Un ou deux coups
Et après je serai pile poil à l'heure -
Si tant est que l'heure aie des poils -
Pile poil à l'heure pour ma série télé. »
Il entra dans le troquet,
Salua le patron,
Demanda une pinte
Et épousseta d'un geste mécanique
Les miettes de pain sur le comptoir
Avec sa manche,
Sa manche déchirée,
Le comptoir crasseux,
Collant, poisseux
Du troquet l' « Aiglon »,
Près d'un pont,
Rue du Général Margueritte.
Marguerite qui est une fleur
Et un général,
A un « t » près.
Quelle drôle de fleur.

Il en était à sa seconde pinte
Et allait s'en aller,
Raisonnable,
Dire au revoir au troquet.
Mais au revoir c'est si fâde,
Si triste, si maussade.
Au revoir.
Adieu.
Bonsoir.
Au soir, bon dieu !

Il allait donc quitter le comptoir
Lorsque entra un homme au teint pâle,
Au teint blafard,
Aux yeux creux,
Aux sourcils broussailleux
Mais au sourire faussement éclatant.
Notre balayeur le mira
Tandis que l'homme demanda un whisky.
Il se disait,
Le balayeur,
Qu'il devrait plutôt prendre un Sauternes.
Terne comme son teint.
Sot comme son sourire.
Il ria.
Et comme il riait fort,
L'autre homme se tourna vers lui.
« C'est de moi que vous riez ? »
Lui demanda-t-il d'un ton d'acier.
« Du tout »
Lui répondit-il.
Mais ça ne voulait pas dire grand chose.
« J'allais partir »
Ajouta-t-il.
« Il est trop tôt pour partir.
Dit l'autre homme.
J'aime bien ta tête,
J'te paye un coup.
Et excuse-moi si j'te tutoie.
J'tutoie tous les gens qu'j'cotois,
Tous ceux qu'on l'air comme moi. »
Le balayeur regarda le costume pingouin de l'homme,
Le trois pièces, la cravate,
Se rassit.
Et d'un ton gai :
« Tu fais quoi dans la vie ? »
« Je vends mon âme »
Répondit l'autre homme.
Puis il se mit à rire.
Il buvait à bribes abattues
Et essuyait sa bouche avec sa manche,
Sa manche propre,
En bon état,
Sa manche rèche.
« En verité,
Je vends des voitures.
Du soir au matin,
Je vends notre air pur.
Et toi ? »
« Je te complète, moi.
Je balaye ta poussière,
J'enlève ta crasse.
Mais rougis pas, mon frère.
J't'en veux pas.
Allez, on trinque.
Toi avec ton whisky,
Moi avec ma pinte.
On trinque à la vie. »
Il firent résonner leurs verres.
« Trinquons à nous deux,
Rajouta le vendeur de voiture.
Trinquons à l'argent,
Trinquons au pouvoir
Qui nous sont promis.
Trinquons aux patrons,
Trinquons à l'espoir
Et, tant qu'on y est,
Trinquons à toutes les guerres,
Aux guerres de clans,
Aux guerres de gangs,
Aux guerres nucléaires,
Guerres par intérêts,
Guerres par amour,
Par avarice, par orgueil,
Par haine, par intérêt...
Mais celui-là, je l'ai déjà dit. »
« Faut dire que les intérêts
Ca importe,
Rajouta le balayeur.
Mais trinquons aux autres guerres,
Mon frère.
Aux guerres de religions,
Guerres de nations,
Guerres raciales,
Guerres fatales,
Guerres d'opinions,
Guerres de factions,
Guerres des nerfs,
Guerre de fer,
Guerres froides, guerres chaudes
Guerres de becs pour prises de sang,
Guerres dans la tête et balles révolutionnaires,
Guerres navales, guerres politiques,
Guerres de morales, guerres étatiques,
Économiques, démographiques,
Académiques, transatlantiques,
Océan de malheurs pour guerres Pacifique.
A Guernica,
A la guerre de Vingt ans,
Celle de Cent ans,
Celle des gosses de seize ans.
A toutes ces guerres,
Aux guéridons
Qui dirigent nos intérêts.
Parce que les intérêts »
« Ca importe »
Répliqua le vendeur.
Et à l'unisson,
Il éclatèrent de rire,
D'un rire gras,
D'un rire patriotique,
Fier d'être français
Quand ça l'arrange.
Parce qu'il est cardiaque,
Le patriote.
Et son coeur patriote flanche
Lorsqu'une bourrasque l'assaille.

Tout au dehors du troquet,
Il y a un clochard.
Il n'a pas de travail, lui,
Pourtant il est aussi saoul.
Saoul comme un balayeur,
Saoul comme un vendeur,
Saoul comme le soleil
Qu'est allé se coucher, lui,
Le salopard.
Comme si le monde s'arrêtait avec lui.
Mais les étoiles, elles,
Elles travaillent
Toute la nuit,
Tout le soir.
Et le clochard les regarde.
Il regarde leur lumière
Qui se reflète dans sa pupille
Et rebondit dans son oeil
Et ressort en double.
En tandis qu'il bave devant les étoiles,
Il ne fait rien,
Le clochard.
Il a trop bu
Et il peut pas bouger.
C'est bien le drame de l'humanité.
Se saouler,
Plus bouger,
Regarder
Les étoiles, le ciel noir,
Toujours pas bouger,
De temps en temps, crier
Juste pour crier,
Sans être écouté,
Mais juste regarder
Sans y penser,
Sans en rêver.

Mais alors qu'il fait l'humanité,
Il sent qu'on lui marche dessus.
Ce sont les deux hommes,
Le balayeur,
Le vendeur,
Qui ressortent
Bras dessus, bras dessous,
Du troquet.
« Eh ! Attention ! »
Cria le clochard.
« Oh, pardon. »
Répondent en choeur les hommes.
« C'est qu'on est pressés.
Y a une émission
Ce soir, à la télé
Et on veut pas la manquer.
Désolé, vieux frère,
On a pas de fric,
On a tout bu.
Parce que le liquide,
Ca se boit,
Quoi qu'on en dise. »
« Et ça saoule. »
Rajouta le clochard.
Et tous trois rirent
A l'unisson.
Tous trois.
Le clochard
Sur le trottoir,
Aux pieds des deux hommes
Qui sont saouls,
Saouls comme des agneaux...
Pardon.
Doux comme des barriques.
Et qui regardent les étoiles
Qui se moquent d'eux.
Les étoiles qui scintillent
Parce qu'elles travaillent pour le soleil
Pour faire tourner la machine.
Parce que ça tourne pas tout seul,
Faut pas croire.
Y a que les oiseaux pour penser.
Pardon, je n'ai pas finie ma phrase.
Pour penser que le monde tourne seul
Et qu'on est jamais mieux servis
Que par soi-même.

D'ailleurs, le voilà,
L'oiseau.
Il est gai comme un pinson.
Ses oisillons dorment,
Ragaillardis, rassasiés.
Et lui se pose sur le trottoir.
Le trottoir devant le troquet.
Le troquet rue du Général Margueritte.
Marguerite qui est une fleur,
Une drôle de fleur.
Et il voit les deux hommes rire
En partant.
Il rentrent chez eux,
Dans leurs foyers.
Et l'oiseau s'adresse au clochard.
« Quels inconscients. »
« Pourquoi cela ?
Répond le clochard
Il sont heureux. »
« Ils sont ivres,
Par heureux.
Il n'y a bien que les Hommes
pour croire qu'être inconscient
C'est être heureux.
Le monde tourne,
Il a besoin de personne.
Mais vous,
Les Hommes,
Les balayeurs,
Les vendeurs,
Les clochards,
Les menteurs.
Vous, vous croyez qu'il tourne pour vous
Et grâce à vous.
Alors vous vous grisez d'infini
En croyant faire avancer le monde.
Toi, le clochard,
Demain,
Tu sauras que j'ai raison.
Car ton monde il est là,
Sous tes mains
Et tu le sens bouger
Sous toi.
Alors tu bois
Pour oublier,
Pour t'oublier.
Mais tu n'oublies pas
Car tu sens le monde
Sous tes doigts.
Mais eux,
Ils vivent dans leurs mondes
Et ne se rendent pas compte
Que le notre avance.
Parce que le balayeur compte ses poussières,
Le vendeur ses chiffres d'affaire.
Mais ça revient au même.
Il n'ont plus le temps de penser.
Compter ses miettes,
Ses enjoliveurs,
Ses tâches, ses salpêtres,
Ses volants, ses moteurs...
Compter,
Car leur monde n'est que chiffres,
Leur monde que le patron a créé pour eux
Et qu'ils sucent comme une tétine
Chaque jour
De chaque semaine
De chaque mois
De chaque année
En se disant
Que c'est délicieux.
Jusqu'à ce qu'ils en aient la nausée
Et qu'ils vomissent leurs tripes,
Leurs poumons, leurs foies,
Leurs coeurs.
Le mot est lâché.
Ils vomissent leurs coeurs
Et cessent d'aimer.
Les chiffres n'aiment pas.
Ils n'ont pas le temps pour ça.

Mais il se fait tard
Et le monde tourne
Bonne nuit,
Bonne nuit clochard.
Et cesse de regarder les étoiles
Apathiquement.
Ce ne sont que des chimères.
Vol, vol de tes ailes
Et va voir sur la Lune si j'y suis. »
Et tandis que l'oiseau finit sa phrase,
Le voilà déjà loin dans le soir,
Loin dans le noir.
Sa silhouette disparaît,
Loin du troquet.

Le clochard reste là,
Pensant à ce qu'a dit l'oiseau.
Et le balayeur rentre chez lui,
Et le vendeur également.
Chez leurs lui respectifs.
Et les moutons sont bien gardés.
Ou sont-ce les poules ?
Allez savoir...
Et les voilà qui dorment
Dans leurs lits d'inconscients,
Dans leurs foyers inconscients,
D'un sommeil inconstant
Dans leurs foyers inconsistants,
Leurs foyers dans la rue doyen Alexandre Lamache,
Et dans la rue Maréchal Joffre
Près de cette rue,
Celle du général Margueritte.
Margueritte qui est une fleur
Et un général.
Un général inconscient,
Un maréchal inconscient,
Dans un monde d'inconscients,
Le soir,
Sur la Terre
Qui tourne
Tout seule.

4 commentaires:

Marine a dit…

Oh mon dieu, c'est super.
On accroche, on accroche tout le long, jusqu'à la fin, moi qui croyais que je n'aurais pas le courage de tout lire.
C'est magnifique, et si vrai...
Je t'admire.

Anonyme a dit…

Woah, c'est vraiment impressionant. Tant de maitrise sur la longueur. Un grand plaisir. Bravo.

Stu a dit…

Je pensais que j'arriverai pas au bout, eh ben que dalle, et on redemande.

Artie a dit…

Merci à tous pour vos commentaires. :)
Desolé pour les fautes qui se sont glissées. Je les corrigerai, promis ! ^^