7 avr. 2008

Le Clandestin - Chapitre Quatrième

Chapitre Quatrième – Chaos :

J’ai lu un jour une théorie intéressante. Elle disait que, parfois, de l’ordre pouvait naître le chaos, engendré par un élément extérieur à cet ordre. Ainsi, même un grain de sable peut faire basculer de l’ordre au chaos.
Cela explique très bien ma vie…

Jersey, Octobre 1961…

Je venais de passer la nuit à travailler. J’allais de mon bureau à la salle d’archives, et de la salle d’archives à mon bureau. Mon seul but était de savoir pourquoi, pour qui… Quelle heure pouvait-il être ? De quelle journée ? Je n’en avais aucune idée… Je m’accordais une pause, extenué que j’étais. Je ne pouvais plus dormir. Non, je ne pouvais plus… Alors je m’évadais, rêvant, mais éveillé, conscient.
Lorsque deux agents entrèrent. J’en avais oublié que je n’étais plus dans mon bureau, mais dans la salle d’archive, allongé là, par terre, à regarder le plafond. De quoi aurai-je eu l’air ? Je feintai donc l’endormissement.
-Et tu vois il m’a dit que j… Oh ! Regarde donc ça. C’est le sergent… il s’est endormit ici, dit l’un des deux hommes.
-C’est si malheureux. Quelqu’un de si bien… Pas étonnant qu’il tombe à terre. Cela doit bien faire une semaine qu’il n’est pas rentré chez lui, faisant allers et retours entre ici et son bureau sans cesse. Il se tue à la tache…
-Si tu veux mon avis, je pense qu’il a pété les plombs. Un jeune homme si doué, si prometteur. Enfin, pas étonnant, vu le désordre dans sa vie en ce moment…
Tout est noir autour de moi, ma tête tourne. Je crois que finalement, j’ai trouvé le sommeil…

Le désordre…
Le chaos…


C’est affligeant comme la vie peut être faite, parfois. Une personne vous manque, et c’est le monde qui est dépeuplé…


Jersey, Novembre 1961…

Suite à mon aphasie, les policiers m’ont emmené à l’hôpital. On m’a alors fortement recommandé de me ménager un peu… Je n’eu pas d’autre choix que de rentrer chez moi, dans cet appartement, celui-là même où j’ai trouvé ma femme mourante…
Lorsque je posais le premier pas dans cet appartement, une douleur sans pareil m’envahit. Dans tous mes os, tous mes muscles, tout mon sang je pouvais ressentir ce chagrin qui mettait mes jambes à défaut. Je revoyais dans ma tête ces images d’horreur, ce sang, je ressentais la sensation de sa peau froide. Puis, sans même m’en rendre compte, des larmes coulèrent. Pour la première fois depuis bien longtemps, je pleurais. Larmes qui à la fois me brûlaient la peau, mais me permettaient également de ressortir cette douleur qui était dors et déjà en train de faire son nid dans mon cœur. Comme les larmes affluaient, de nouvelles images me revinrent à l’esprit. Des images de bonheur, des images d’elle, à la grande époque. Des images sans cruauté, sans haine, sans chagrin. Je pu faire ce second pas, puis un troisième… jusqu’à arriver à mon sofa. Je m’assis. La douleur avait disparu. Ou du moins, elle ne me torturait plus. Mais à la place, je ressentais la haine. J’avais un désir de vengeance, je voulais tout exploser, que tout ce qui est beau meurt, que tout ce qui est chaleureux perde son éclat. J’avais envie de tout gâcher… Mais j’avais surtout envie de faire payer aux personnes qui m’avaient fait ça.
J’avais déjà bien avancé, mes recherches m’avaient permis de faire un lien supposé entre ces cambriolages et la mort de ma femme. Ces vols avaient en fait été perpétrés non seulement toujours en pleine journée, mais également dans des maisons modestes. Affaire à l’aspect banal. Il m’aurait suffit de creuser un tout petit peu plus pour voir qu’en fait derrière cela se cachait une très grosse affaire… Mais c’est toujours dans les situations les plus critiques que la notion du travail bien fait prend tout son sens. Le point convergeant était non pas ces maisons, mais leurs propriétaires. Ils étaient tous d’anciens marins, et tous venaient du même bâtiment. Bateau qui, une semaine plus tôt, avait finit sa vie au fond des eaux. L’enquête avait révélée que le navire avait sûrement été coulé volontairement. Mais cette enquête n’avait pas été plus loin. Sans véritable raison, les investigations avaient été arrêtées. D’après un de mes indicateurs, on aurait retrouvé des traces de drogue dans les soutes, et c’est cela qui aurait poussé certaines personnes bien placées à ‘noyer le poisson’. L’affaire était d’autant plus grosse que quelques jours avant la visite de ce M. Crook, les corps de certains de ces marins avaient été retrouvés, pendus à des arbres avec un écriteau sur lequel il était écrit le mot ‘ESCROC’. A l’époque, l’enquête avait été confiée à un inspecteur plus expérimenté que moi, nous n’avions en effet aucune idée d’une quelconque relation entre ces meurtres et ces cambriolages. Maintenant, c’était évident. Restait à trouver quelles personnes étaient mouillées dans cette histoire. Et ce n’était pas une mince affaire… Il y avait un seul élément qui pouvait m’emmener à la réponse que je voulais : Ce Monsieur Crook.
Mon plan était prêt… Restait à l’exécuter. Mais, avant, il me fallait préparer ma sortie. Je décrochais donc mon téléphone afin de prévenir mes collègues de mon absence.
-Oui, allo, commissariat de Jersey, je vous écoute.
-Allo, Philippe. C’est moi.
-Eh ! Sergent. Comment vas-tu ?
-Oh… pas fort. J’ai la crève, et du coup, je tiens presque plus debout. Le médecin m’a dit de ne pas travailler aujourd’hui, au moins.
-D’accord. Eh bien, pas de soucis, on se débrouillera. Le médecin à raison, tu étais livide la dernière fois, tu ferais mieux de te reposer au moins toute cette semaine.
-Oui, pas de soucis. Merci.
-Dis, sergent…
-Oui ?
-Fais attention à toi, quand même, hein. Reviens-nous en pleine forme !
-Merci Philippe, je reviendrais très vite et avec la forme.
-Bonne journée.

Je raccroche le téléphone. La solitude, à présent. Je la sens couler dans mes veines. Je repense à toi, encore une fois… Comme cet endroit est vide sans ta présence.

On souffle, on respire un peu, s’accordant une pause dans cette jungle qu’est la vie. Puis celle-ci nous met à nouveau devant deux choix, deux chemins qui s’offrent à nous :
Le premier a une fin bien prévisible, mais amère. Un chemin bien clair, mais monotone.
L’autre est sombre et inconnu, mais intriguant et plein d’espoir.

Le choix fait, il est trop tard pour reculer. On ne peut plus que suivre sa route en espérant déboucher quelque part…

Je venais de raccrocher. Maintenant dans ma tête, deux voix raisonnaient. La première me disait de prendre cette première voie. La deuxième, elle, jouait de mes sentiments et m’encourageait à prendre la seconde issue. Ce que je fis…
-Bien bien… Voyons où tu vis, cher M. Crook.
Je mis la main dans les dossiers que j’avais emportés chez moi. Ceux, plus ou moins officiels, qui contenaient les noms des personnes sous surveillance. Une très bonne idée qu’un de mes associés avait eue, que j’avais mise en place très rapidement, et qui, ce jour-là, me rendait un fort grand service. Monsieur Crook y était, puisque j’avais demandé personnellement à ce qu’on l’y ajoute. En un quart d’heure, j’en savais assez sur cet homme pour pouvoir le retrouver. Non pas que le dossier était épais, bien au contraire, mais parce que j’avais là l’adresse de chez lui, de son travail. Il était malin, il savait qu’il était suivi. Ainsi, il avait réussi à semer ma taupe à maintes reprises et durant plusieurs heures, ce qui lui laissait le champ libre pour faire tout ce qu’il désirait sans être soucieux que j’en apprenne quoi que ce soit. Voila, je savais où le trouver, il fallait que je fasse du bruit, il fallait que je déchaîne mon courroux !

Tu as volé ma vie, tu ne partiras pas en emportant mon âme…

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