31 mars 2008

Le Clandestin - Chapitre Troisième

Chapitre Troisième – Le fil de la vie :

Comme l’avait plus ou moins dit cet homme, la vie ne tient parfois qu’à un fil… Un tout petit filin, balançant au vent. Et, brutalement, il cède, nous laissant à terre, avec comme seul espoir un petit fil entre nos mains, un petit rien.
Et on en vient à se demander à quoi joue la vie. Pourquoi nous met-elle là ? Que cherche t-elle ? Pourquoi tant d’épreuves ?

Jersey, Octobre 1961…


L’hôpital… Je commence à péter un câble. Elle est dans cette salle depuis déjà trop longtemps. Va-t-elle bien ? Et si elle était morte... ? Non, ça n’est pas possible, elle ne peut pas me laisser…
C’est à ce moment précis que le médecin, Georges Scrad, sort de la salle.

-Georges ! Comment va ma femme ? S’il te plait, dis-moi qu’elle va mieux…
Il prit alors un air désolé, celui que je l’avais déjà vu tant de fois prendre avec les familles endeuillées, puis il me dit :
-Ecoute… On se connaît depuis déjà bien longtemps, et je ne vais pas y aller par quatre chemins.
-Je… je t’écoute, lui dis-je, prêt à tout entendre. Si tant est que l’on puisse se préparer à apprendre la mort de sa moitié…
-Voila. Ta femme a été poignardée à 20 reprises et avec une violence rare. J’ai rarement vu ça auparavant. Elle a perdu beaucoup de sang, et des organes vitaux ont été atteints notamment le…
Il allait partir dans son bla-bla de légiste. Je n’avais pas la tête à ça.
-Georges. Epargne-moi tes comptes rendus du médecin compatissant, par pitié. Il s’agit de ma femme, bon dieu ! Comment va-t-elle ?

C’est là, à ce moment même où je m’entends dire ça, que je réalise… J’ai souvent dû annoncer à des familles la mort d’un proche, mais jusqu’alors, je ne savais pas à quel point cela pouvait être douloureux.

-Eh bien… Elle est salement amochée. En vue de ses blessures, je n’ai pas eu d’autre choix que de la plonger dans un coma artificiel…
-Qu… Quelles sont ses chances de s’en tirer ?
-Pour être sincère… je pense qu’elles sont quasi-nulles. Elle a perdu énormément de sang et, de plus, un des coups lui a transpercé le poumon droit. Si, par miracle, elle survit, elle ne sera plus celle que tu as connue. Je suis désolé…
-D… D’accord. Je te remercie, Georges… pour ta sincérité. Je… Je crois que je vais aller voir comment elle va et la veiller, si tu me le permets.
-Normalement les visites sont finies, mais pour toi, elles sont ouvertes tout le temps qu’il faudra. Tu peux aller la voir, si tu veux.
-Merci… encore.
-Pas de quoi. Je suis sincèrement désolé pour tout ça. C’est malheureux…
Je me retourne alors et m’apprête à pénétrer dans la chambre de ma femme. Avant de pénétrer, j’entends la voix de Georges me dire une phrase, qui se met à résonner dans ma tête.
-Et surtout, fais gaffe à toi, mec !

Fais gaffe à toi…

Non… Je ne veux plus…


Etrangement, cette nuit-là, pendant que je veillais ma femme, je repensais au premier cadavre que j’avais vu…

Jersey, Avril 1959…


J’étais alors qu’un simple bleu. Je venais tout juste d’être admis au sein de la police. On m’avait confié au meilleur inspecteur de Jersey, l’inspecteur Foley. Nous avions déjà enquêté sur maintes affaires auparavant, mais ce jour-là, on venait de repêcher un cadavre. L’occasion pour mon maître de me faire enquêter sur un assassinat.
Nous arrivâmes au lieu de l’enquête. Beaucoup de policiers étaient déjà présents. Il y avait comme une agitation folle, on voyait des hommes-grenouilles, des policiers, des gendarmes, et même quelques militaires. Derrière des barrières, la foule locale était agglutinée pour en voir le plus possible de ce qui se tramait ici.
Et alors je la vis… C’était une femme. Une jolie jeune fille nue. Sa peau était bleue, ses cheveux blonds, et elle avait de nombreuses blessures près du sexe. A différents endroits, elle était déjà en décomposition. Des asticots sortaient tantôt de sa bouche, tantôt de son nez, pour enfin aller se réfugier dans l’œil en passant par un petit trou qu’ils avaient creusé au préalable.
Cette vision m’horrifia, me répugna. On l’eut été pour moins ! J’en avais le ventre retourné et mon déjeuné avait, d’un coup, un goût beaucoup plus âcre que précédemment. Mes tripes criaient à présent, mon repas voulait sortir. Je me précipitais donc dans un petit coin et vomis mon repas. Manque de chance, toutes les personnes présentes n’avaient pas manquées de remarquer qu’il s’agissait de mon ‘premier cadavre’. Il y eu des éclats de rires, des moqueries, on scandait ‘ha ha, les bleus sont vraiment des fillettes !’. Une vision assez étrange lorsque je me souvenais que l’on était sur les lieux présumés d’un meurtre effroyable, et qu’au milieu de tous ces gens hilares se trouvait une femme morte, repêchée peu de temps avant dans l’eau et dont le cadavre en putréfaction lançait une odeur nauséabonde sur toute l’assemblée. Où étais-je donc tombé ?
L’inspecteur Foley s’approcha alors de moi et me dit :

-Eh bien, jeune recrue, on ne tient pas face à un cadavre ?

Il avait été le seul qui n’avait pas rit, le seul qui n’avait su détourner son regard du cadavre pour voir son apprentis vomir ses boyaux.

-Hum… C’est que… Monsieur, si je peux me permettre, c’est le premier… enfin la première… le premier cadavre que je vois, quoi. Et… je n’imaginais pas ça comme cela.

Bien entendu, ce n’était pas le premier mort que j’avais vu. Il y avait eu mes parents, avant elle… Mais cela est une autre histoire, et je ne vis d’eux que leurs derniers instants, pas réellement leurs cadavres.

-Ha ha ha ! Tu t’y feras vite, t’en fais pas, me dit alors mon mentor.
-Oui. Je… je l’espère bien.
-Je me souviens, fiston, la première fois que, moi aussi, j’ai vu mon premier macchabée, reprit-il. J’étais alors qu’un jeune gringalet, tout comme toi. J’étais très intrigué. Je demandais à mon formateur quelle était cette odeur si forte qui émanait de cette chose en décomposition. Et sais-tu ce qu’il m’a répondu ?
-Heu… eh bien, non.

Il se tourna vers le cadavre et dis d’un ton sec :

-Eh bien, en réalité, il ne m’a rien répondu. Il m’a menotté au mort et pour me punir de n’avoir pas appris mes rudiments, il m’a laissé toute la nuit en bonne compagnie dans la morgue.
J’eu un relent. Comment peut-on passer tout une nuit avec… ça ?!

Il reprit donc en se tournant vers moi, le sourire sur les lèvres.

-Alors, j’en ai appris à les apprécier moi, les cadavres. Surtout celui-là… Une jeune femme, très jolie. Elle avait les yeux d’un bleu… Et des cheveux d’un blond…

Son ton retomba…

-Oui… si ce n’était ce trou au côté droit, elle était parfaite… Elle était froide, immobile, sur sa table mortuaire.

Il me regarda dans les yeux, et finit :

-On eu dit le sommeil d’un ange.

Le sommeil d’un ange…

Aucun commentaire: